Chronologie: le voyage vers Sainte-Hélène.


Introduction: pourquoi Napoléon s'est-il tourné vers les Anglais?


Extrait de Sainte-Hélène, d'Octave Aubry: (p44)


Dans ces entretiens, Maret lui avait donné un conseil qui n'était pas sans justesse, si l'on considère le respect des Anglais pour la légalité: "Que l'Empereur s'enfuît, courût à la côte, se jetât avec quelques amis dans un bateau, abordât en Angleterre et se présentât aussitôt au magistrat le plus proche en déclarant qu'il venait se placer sous la protection des lois britanniques. Nul n'eût osé attenter à sa liberté. »
Un instant Napoléon soupesa l'idée. Il lui préféra celle du passage aux États-Unis. Mais la pensée qu'il pourrait un jour, s'il y était forcé, en appeler à l'honneur anglais traîna dès lors dans son esprit.


Napoléon, au docteur O'Meara:

Combien j'ai été fou de me jeter entre vos mains! Je m'étais fait une fausse idée de votre caractère national; j'avais UNE OPINION ROMANESQUE de la nation anglaise. A cette idée se joignait un peu d'orgueil. J'aurais rougi de me livrer à l'un des souverains dont j'avais conquis les États, et dans les capitales desquels j'étais entré en vainqueur; c'est ce qui m'a déterminé à me confier à vous que je n'avais jamais subjugués. Docteur, je suis bien puni de la haute opinion que j'avais conçue de votre nation!

Extrait de La vie quotidienne de Napoléon en route vers Saint-Hélène – Georges Bordonove – p 181



Le Bellerophon



Embarquement sur le Bellerophon
Collection privée La Bricole


Billy Ruffian, d'après George BORDONOVE, La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène - Librairie HACHETTE 1977

« C’était ainsi que les matelots surnommaient par assonance, le Bellerophon : Bill-le-bandit. Ils ignoraient l’origine de ce nom bizarre et il leur importait assez peu que Bellerophon ait été, selon la mythologie, fils de Neptune et d’Eurymède. Pour ces âmes simples, la sacrée vieille baille demandait double travail si l’on voulait qu’elle fût présentable et tînt honorablement sa place dans la Royal Navy. Elle faisait de l’eau plus qu’il nétait raisonnable, et la corvée de pompe s’ajoutait aux autres besognes. Elle marchait mal et l’on devait grimper sans cesse dans la mâture pour ferler et déferler, bref corriger constamment la voilure. À la moindre houle, elle tanguait et roulait à vous retourner l’estomac, malgré sa masse. L’on ne savait comment les couples de sa membrure encaissaient encore les coups de mer, et, même, le simple choc des lames. Le bois de ses ponts et de ses bordés était si usé, si rapiécé et recousu par des générations de charpentiers, que les humoristes de l’équipage soutenaient sans rire qu’il ne tenait plus que par la peinture et jetaient des cris d’alarme quand on grattait. Et ce n’était pas seulement le vieillissement des choses qui rongeait, fibre à fibre, cet assemblage de chêne et de sapin, mais les meurtrissures des tempêtes sans nombre, des grains fouettants, du soleil et de l’eau de mer. Et, plus encore, celles du fer ! Car ce vétéran s’était fait démâter à la bataille d’Aboukir, par l’Orient, vaisseau de l’amiral Brueys ; il était si mal en point qu’il avait dû quitter la ligne, ne gouvernant plus. À Trafalgar, il avait subi d’énormes avaries par le feu de l’Aigle, capitaine Gourrèges. Il était tout juste capable et non sans risques, de croiser devant les côtes de France et, cahin-caha, de rentrer en Angleterre. Mais, à force de soins et de coups de pinceau, il gardait assez belle apparence ; les terriens admiraient les impeccables listons jaunes et noirs qui divisaient sa haute muraille, les sculptures qui chargeaient sa proue et sa poupe percée de larges et hautes baies à petits carreaux.
C’était là que l’Empereur avait ses quartiers ; il occupait, on l’a dit, la Chambre du Conseil. »

Merci à Diana



Les journées à bord du Bellerophon, d'après La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène - George BORDONOVE - Librairie HACHETTE 1977

"Bien que le temps se maintînt au beau et, selon Maitland, fût même « magnifique », les passagers eurent le mal de mer, en particulier Las Cases : Napoléon regrettait qu’il eut endossé l’uniforme de capitaine de vaisseau, pour l’amusement des Anglais. Lui, ne souffrait pas de ce mal, il éprouvait seulement quelques maux de tête et s’abstenait d’absorber le « drog » préconisé par l’Irlandais O’Meara, médecin du bord, pour calmer les nausées.

Napoléon se couchait entre huit et neuf heures et se levait tard. Il déjeunait seul, à son habitude. Il passait le reste de la matinée à bavarder avec les généraux et avec Las Cases dont l’érudition et le caractère lui plaisaient chaque jour un peu plus, ce qui provoquait déjà des jalousies ! Parfois il préférait lire. À une heure, Marchand l’habillait : uniforme de colonel de chasseurs, bas de soie, et souliers bas à boucles d’or. Il montait alors sur le pont et se promenait en conversant avec Maitland et ses officiers, ou avec le docteur O’Meara. L’après-midi, on s’asseyait autour de la table de la salle à manger, et on jouait soit au macao, soit au vingt-et-un. La conversation était libre ; Napoléon aimait infiniment mieux parler que prêter attention à ces morceaux de carton que sont les cartes. Il était un causeur éblouissant, surtout quand il évoquait ses campagnes. Il avait le don de camper ses personnages. C’était un écrivain né, comme on le sait, mais un écrivain qui eût réalisé ses rêves !

Ces occupations diverses amenaient à l’heure du dîner, pris en commun avec Maitland et ses principaux officiers, ce qui imposait une certaine réserve. Pour autant ce n’étaient point de mornes repas. Napoléon s’emparait de la conversation, interrogeait les uns et les autres. Au bout de quinze à vingt minutes, aussitôt le dessert avalé et bu le café, il se levait de table. Et Maitland s’étonnait de cette promptitude, surtout quand il sut que, pendant son règne, Napoléon ne consacrait jamais plus de temps aux repas. « Bonaparte, note-t-il, gros mangeur, se nourrissait généralement de mets substantiels ; il buvait peu, ne prenait guère que du bordeaux, rarement plus d’un quart de litre par repas. »

Après le dîner, on se rassemblait sur le pont. Maitland y avait fait disposer pour les dames « un berceau formé de pavillons de différentes couleurs » : elles y passaient, à l’ombre et au grand air, la plus grande partie de la journée, ne pouvant s’adapter à l’exiguïté des cabines. Pendant les promenades du soir, Mme Bertrand servait le plus souvent d’interprète. Après quoi, l’Empereur prenait congé et se retirait dans sa chambre. "

Merci à Diana



Destination: Sainte-Hélène.


Non, je n'irai pas à Sainte-Hélène! - Extrait de La vie quotidienne de Napoléon en route vers Saint-Hélène – Georges Bordonove – p 132-137.

Napoléon lut ce papier. Le posa sur la table. Réfléchit un instant qui dut paraître long à Keith et Bunbury ; soudain son regard étincela, sa voix tonna, saccadée, terrible :

" Je proteste solennellement contre les procédés du gouvernement britannique ! II n’a aucun droit de disposer ainsi de ma personne!
………..

Je suis venu volontairement m’asseoir au foyer de votre nation. Réclamer votre hospitalité. Je ne suis même pas prisonnier de guerre et, si je l’étais, vous seriez tenus de me traiter conformément au droit des Nations.
…………..

Avec mes habitudes, ma constitution, ce serait la mort immédiate. J’ai l’habitude de parcourir vingt lieues à cheval tous les jours : sur ce roc minuscule au bout du monde, que pourrais-je faire ? Le climat y est trop brûlant pour moi… Non, je n’irai pas à Sainte-Hélène !
…………..

Votre gouvernement n’a pas le droit de m’appeler général Bonaparte ! Puisqu’il m’a reconnu en tant que premier Consul, qu’il me donne au moins ce titre !
……….

A Non pour Sainte-Hélène ! Non ! Je n’irai pas. Iriez-vous, monsieur ? Et vous, milord ? Je ne quitterai pas le Bellerophon. Je n’irai pas à Sainte-Hélène. Je ne suis pas un Hercule, mais vous ne m’y conduirez pas. Je préfère la mort ici !…
……………

Je n’embarquerai pas sur le Northumberland ! Je n’irai pas ! Je ne sortirai pas d’ici !… "

Cette bourrasque avait duré trois quarts d’heure.

Cependant à l'heure habituelle, parfaitement calme et quasi souriant, Napoléon parut sur le pont et salua les curieux. Ce revirement, cette force d'âme stupéfièrent Maitland qui croyait, jugeant par lui-même, l'Empereur "trop déprimé" pour ne pas s'enfermer dans sa cabine et céder à un compréhensible désespoir. Il entrevit alors, peut-être ce dont la grandeur authentique est capable, et que cet homme était aussi plus qu'un homme!



7 août 1815 - Les derniers jours de l’Empire - H.Lachouque - Artaud – 1965. (p.267)


Lundi, 7 août 1815. Temps sombre et frais. Avant-hier, la liste des personnes qui accompagnent l’Empereur a été arrêtée : Bertrand, Montholon et leurs familles, Gourgaud, Las Cases et son fils, Marchand, Saint- Denis, dix domestiques.

On a caché les bijoux, un peu d’or, puis, l’odieux le disputant à l’imbécile, on a subi la fouille des bagages, l’enlèvement des armes à feu, de l’épée des généraux. Arrêté par un regard d’acier, Keith a laissé à son côté celle de Napoléon. Dans l’affolement, le désarroi, la peur de l’ « habeas corpus », d’une manifestation violente de l’opposition, d’un enlèvement, le triumvirat Liverpool, Castlereagh, Bathurst, a précipité le départ, bien que le Northumberland ne soit pas prêt ; on n’a même pas eu le temps de se procurer à terre l’indispensable pour un long voyage, un séjour indéterminé au bout du monde !

11 heures du matin. L’Empereur fait ses adieux à ceux de ses compagnons qui ne le suivent pas en exil, embrasse Savary et Lallemand en larmes, puis tous défilent devant lui par ordre de grade ; certains étreignent sa main ou le pan de sa redingote grise. Il serre la main de Maitland, cause avec lui pendant dix minutes qui marqueront dans la vie de l’Ecossais ; soulève son chapeau et remercie en souriant les officiers des attentions qu’ils ont eues pour lui ; salue avec une dignité calme l’équipage rassemblé, tête nue, dans la grand-rue ; reçoit de la garde les honneurs royaux… Il voudrait parler encore, mais l’émotion l’en empêche ; il fait plusieurs signes de la main et se dirige vers l’échelle de poupe, suivi de sa « Maison » et de l’amiral Keith, dont les pas martèlent le plancher.
« Vous observerez, My Lord, que ceux qui pleurent sont ceux qui restent ». dit Las Cases.
« On entendrait une épingle tomber du mât », note l’aspirant George Home qui conclut en voyant le canot-major emporter Napoléon vers son destin : « Ce sera une vilaine tache sur notre nom dans les siècles les plus reculés. »




Le Northumberland


Le 7 août, Napoléon arrive à bord du Northumberland.

Tableau de William Quiller Orchardson


Préparatif du grand départ vers l’exil: La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène - George BORDONOVE - Librairie HACHETTE 1977

"Pendant la journée du 8 août, il ne se passa rien. Le Northumberland resta en panne au large de Phlymouth, afin d’écarter les curieux. Le vent soufflait au nord-ouest, assez frais. Il y avait une forte houle. Les passagers, souffrant du mal de mer, restaient enfermés dans leur cabine, loin des regards moqueurs. Cockburn attendait que les divers bâtiments qui composeraient l’escadre de Sainte-Hélène eussent rallié, avant d’envoyer le signal de départ. La frégate Havannah (capitaine George Hamilton), les bricks Peruvian (capitaine White) et Zenobia (capitaine Dobrec) apparurent successivement sous le ciel nuageux. Le brick Peruvian, connu pour sa vitesse, fut envoyé à Guernesey afin d’y prendre des vins de France ; il rejoindrait l’escadre à Madère : À bord du Northumberland on avait fort à faire pour compléter les aménagements, mettre de l’ordre, trouver à chacun une place, sinon confortable, du moins suffisante pour une longue traversée, à condition de ne pas être trop difficile !

H.M.S. Northumberland était un vaisseau de 74 canons, jaugeant 1.600 tonnes. Il était beaucoup plus récent que le Bellerophon et, dirions-nous aujourd’hui, « un peu plus fonctionnel ». Cependant, il y avait à bord, 1.060 personnes dont l’état major du 53ème de ligne et deux compagnies de ce régiment. On imagine l’entassement, la promiscuité, les difficultés rencontrées par Ross, commandant du navire, car les officiers de terre ne s’estimaient pas inférieurs aux officiers de mer ; il en était de même des soldats à l’égard de matelots ! De plus, Ross devait s’efforcer de loger aussi convenablement que possible l’entourage de l’Empereur, au prix de quelques sacrifices plus ou moins bien acceptés ! Outre Napoléon, il transportait aussi l’amiral de l’escadre, ce Cockburn bien connu dans la Royal Navy pour sa rigueur sans faiblesse et ses exigences. Mais il lui faudrait encore satisfaire les exigences de Boney, dont il ne savait pas que penser tant ses impressions premières restaient confuses. Il devrait afficher à son égard assez de réserve pour ne pas tomber dans les complaisances de Maitland et encourir les reproches du gouvernement, et assez de diplomatie pour ne pas mécontenter cet hôte encombrant. Il devrait enfin faire preuve d’autorité, et de doigté, pour contenir un équipage revenant d’une longue campagne et furieux de repartir à Sainte-Hélène sans avoir goûté aux douceurs d’une escale. Tout au contraire, au lieu de prendre un repos mérité, ces matelots avaient dû réarmer le vaisseau en dix jours et, malgré leur bonne volonté, on n’avait pas eu le temps de le repeindre. »

Merci à Diana



La petite Cour de Napoléon - La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène - Georges Bordonove - P176

La petite Cour de Napoléon sur le Northumberland est un microcosme. Les caractères les plus variés s'y juxtaposent et, par l'effet de contraste, se font valoir les uns les autres. Le meilleur y côtoie le pire, mais enfin le moins que l'on puisse faire pour eux, est d'être juste. Quels qu'ils fussent, ces hommes, ces femmes, militaires et civils, intelligents ou non, méritent notre admiration et notre indulgence. Leur mérite commun fut de rester les inconditionnels de l'Empereur et de le suivre, à leurs risques et périls, jusqu'à Sainte-Hélène, pour y partager sa captivité, y subir la loi d'un funeste geôlier choisi pour sa bassesse et sa méchanceté, mais aussi apporter au grand homme la consolation de leur présence et l'illusion, à notre avis sublime, de rester l'EMPEREUR! Eux seuls, firent de la misérable ferme de Longwood, le dernier "Palais" avec ses services de la Bouche, ses Ecuries, ses audiences, son protocole. Ils ont été capables de cette abnégation et peu importe que tous ne soient pas exemplaires; que certains aient assailli Napoléon de leurs problèmes personnels, de leurs rivalités mesquines; qu'ils se soient déchirés entre eux et critiqués fielleusement! Ils furent les COMPAGNONS DE SAINTE-HÉLÈNE; ce titre efface les fautes, s'il y en eut!



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