L'île d'Elbe: Dangereuse mésaventure de “L’Inconstant”.


NAPOLEON Empereur de l’île d’Elbe - Souvenirs & Anecdotes de Pons de l’Hérault, LES EDITEURS LIBRES 2005



On mit à la voile par un temps favorable. L’Inconstant n’était vraiment pas heureux dans ses traversées : à peine eut-il repris la pleine mer, que le vent passa au sud-ouest grand frais et qu’il fallut diminuer de voiles. Le commandant Taillade se dirigea sur Porto-Ferrajo. Il faisait nuit, mais le phare du port brillait : cependant l’on avoisina tellement la côte que l’on dût forcément passer entre l’île et le rocher appelé « Scoglietto », détroit très dangereux, et dont, même de jour, les plus petits bâtiments du pays ne profitent qu’à la dernière extrémité. Il paraît qu’on ne s’était pas rappelé cet écueil, de telle sorte que le brick aurait pu facilement aller s’y briser.

Échappé à ce risque, au lieu de ranger le plus possible à tribord pour aller prendre le bon mouillage, le commandant Taillade poussa à pleine voile dans la rade, et lorsqu’il s’aperçut qu’il était sous le vent du meilleur poste, il voulut essayer de faire une bordée afin de regagner ce qu’il avait perdu ; malheureusement, le brick refusa de virer de bord. Alors force fut de mouiller les deux ancres ; ces deux ancres auraient dû être pennelées ; on ne prit pas cette précaution essentielle ; il devint impossible d’avoir recours à l’ancre d’espérance. Le vent était entré furieux, le brick passa la nuit sur les ancres ; on cala les mâts ; on descendit les vergues : tout cela n’empêcha pas les ancres de déraper. On tira le canon de détresse ; à la pointe du jour, le danger était imminent. Les vagues jetaient le brick sur les rochers de Bagnajo (Bagnaia) où tout le monde aurait pu périr, et, dans cette situation horrible, saisissant le moyen qui seul semblait offrir une planche de salut, on coupa les câbles pour aller échouer sur le rivage de la baie voisine. Le brick échoua. Personne ne périt. La mort du cheval fut la seule qui marqua cette catastrophe. M. Ramolini ne mourut pas, mais il se crut tout près de sa dernière heure, et lorsqu’il eut le pied sur le rivage, sa première pensée fut de se mettre à genoux pour remercier Dieu de l’avoir sauvé. […]

[…] Au premier coup de canon de détresse, l’Empereur sauta de son lit, et, cinq minutes après, il était à cheval. Il mit bien peu de temps pour franchir l’espace qui le séparait de la baie de Bagnajo (Bagnaia). Un triste spectacle s’offrit à ses regards : le brick « l’Inconstant » n’ayant que le grand mât, le mât de misaine, le mât de beaupré, tous trois confusément couverts des manœuvres courantes de la mâture générale, gisait sur le rivage et était abattu du côté de terre. Le foc, qui avait heureusement servi à la dernière manœuvre, semblait insulter aux vents et les flagellait de ses lambeaux ; les vagues se brisaient avec fureur sur les flancs du navire naufragé. « l’Inconstant » était menacé d’être bientôt réduit en pièces : l’équipage, presque nu malgré la rigueur de la saison, se livrait avec zèle à l’œuvre du sauvetage et ne songeait même pas à se plaindre.

L'empereur me fit appeler : j’étais en route pour me rendre auprès de lui. Je le trouvai profondément ému, il me dit seulement : « Venez vous pénétrer de ce triste tableau. » Un temps infini s’écoula sans qu’il m’adressât encore la parole. Enfin, il me demanda si l’on avait eu soin des matelots. Il me demanda aussi si l’on avait fait l’appel pour s’assurer que personne n’avait péri. L’Empereur évitait avec intention d’entretenir le commandant Taillade, mais lorsqu’il lui parlait, c’était sans amertume. Le commandant Taillade ne paraissait pas même ressentir une légère douleur d’épiderme moral ; l’enseigne Sarri était attristé.

Durant la matinée, on pouvait craindre que la continuation du mauvais temps n’empêchât de remettre « L’Inconstant » à flot, mais le vent se calma, la mer fit comme le vent. On remarqua que l’Empereur avait quitté silencieusement le lieu du désastre. Dès que cela fut possible, on releva le brick, on le remorqua dans le port, l’on s’occupa avec empressement de le réparer. Vingt jours après, il était de nouveau à même de remettre en mer.



À l’extrême droite de la terre ferme, cet écueil se confond dans le triangle de la côte.


Lo Scoglietto dangereux éperon à fleur d’eau.


En 1901 il fut doté d’un phare afin de prévenir de son dangereux voisinage.


[...]
La loi maritime de tous les pays qui ont une marine militaire prescrit la mise en jugement de tous les commandants de bâtiments de guerre qui font naufrage, et cette loi, sauvegarde des intérêts de l’État comme de l’honneur des officiers, est ordinairement exécutée avec ponctualité. À l’île d’Elbe, il n’y avait aucun moyen de constituer un conseil de guerre composé d’officiers de marine, et cette impossibilité empêcha l’Empereur de faire juger le commandant Taillade. À défaut, l’Empereur ordonna une enquête sur le naufrage du brick L’Inconstant, et le général Drouot en fut chargé. À la suite de cette enquête, l’Empereur ôta le commandement du brick à M. Taillade, et il le conserva cependant lieutenant de vaisseau en activité de service. Personne ne trouva qu’il y avait de la rigueur dans cette décision impériale. Des officiers de L’Inconstant assurèrent même qu’elle n’était pas assez sévère ; ils prétendaient que le commandant Taillade n’était monté sur le pont qu’à la dernière des extrémités.

Il y avait alors environ un mois qu’un officier de marine venu de Toulon était arrivé à l’île d’Elbe pour offrit ses services à l’Empereur, et que l’Empereur lui avait donné de l’emploi. Cet officier se nommait Chautard, il se disait lieutenant de vaisseau ou capitaine de frégate, et l’Empereur ne lui donna pas la preuve officielle du titre qu’il prenait.

© Diana.



Le naufrage de l’Inconstant - Georges Blond, Les Cent-Jours, p.100


Il fallait agir vite. L’hiver est la saison la plus favorable à une traversée clandestine à cause des longues nuits. Napoléon aurait quitté Elbe bien plus tôt si l’Inconstant, le brick vaisseau amiral de sa flottille et à bord duquel il embarquera, n’avait fait naufrage dans la nuit du 11 au 12 février.

Appareillé le 5 de Civita-Vecchia où il était allé porter des dépêches et charger du blé, et faisant route sur l’île d’Elbe, le brick avait rencontré une vraie tempête, dû mettre en fuite et se réfugier dans le golfe de Saint-Florent, au nord de la Corse.
Ayant subi des avaries, il était resté là quelques jours. Reprenant la mer le 11, il avait rencontré une autre tempête et finalement s’était échoué, désemparé, sur une plage du golfe de Porto Ferrajo. A l’aube du 12 février, spectacle lamentable : l’Inconstant gisait couché sur le rivage tout son gréement fracassé.
Napoléon, accouru à cheval, était blême de colère. II avait relevé de son commandement le lieutenant de vaisseau Taillade, qui, une fois de plus, avait laissé son second, l’enseigne Sarri, se débrouiller avec le gros temps.

Les réparations du brick vont demander six semaines. Les ordres pour le départ vont, pendant ce temps, se succéder, dissimulés, noyés dans quantité de projets qui doivent laisser penser que l’Empereur ne songe qu’à la remise en valeur de son petit royaume ; et à l’égard du public, toujours la même comédie.






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