Chronologie: après Waterloo: le 19 juin 1815.


Sur le champ de bataille


Le matin, au bivouac


L’air frais du matin ne dura pas longtemps; le soleil brilla bientôt dans toute sa gloire sur notre bivouac ensanglanté et toute la nature s’éveilla à une vie nouvelle. Je n’étais debout que depuis quelques minutes, quand un des sergents vint me demander si on pouvait enterrer le conducteur Grammont.
« Et pourquoi particulièrement Grammont ?
– Et parce qu’il est effrayant, monsieur ; beaucoup d’entre nous n’ont pu fermer les yeux à cause de lui. »
Bizarre ! Je me dirigeai vers l’endroit où il était étendu et certainement rien de plus hideux ne peut être imaginé. Un coup de canon avait emporté sa tête entière, excepté juste le visage qui restait encore attaché au cou déchiqueté et sanglant. Les hommes disaient qu’ils n’avaient pu dormir en voyant ses yeux fixés sur eux toute la nuit. Il fut naturellement enterré immédiatement et immédiatement oublié.

[…]Quoique des renforts de munitions nous eussent été envoyés pendant l’action, il en restait fort peu. On m’avait demandé un rapport hier à la veillée, au moment où nous nous étendions pour nous reposer, mais fatigués comme nous l’étions, il fut impossible de l’établir correctement. Autant que je puisse le certifier, nous devons avoir tiré près de 800 coups par pièce. Nos harnais étaient tellement déchiquetés que si ce n’avait été du vaste magasin autour de nous où nous pouvions choisir et ramasser ce que nous voulions, nous n’aurions jamais pu quitter la place.

[…] Pendant ce travail, nous eûmes le loisir d’examiner le terrain dans notre voisinage immédiat. Livres et papiers le couvraient dans toutes les directions. Les livres me surprirent d’abord, mais, après examen, la chose me fut expliquée. Chaque soldat français portait un petit carnet de comptes de sa paie, de ses effets, etc. La scène était loin d’être solitaire. De nombreux paysans s’agitaient, activement occupés à dépouiller les morts et peut-être à achever les malheureux qui respiraient encore. Je vis des gens trébuchant positivement sous leur énorme charge de vêtements, etc., qu’ils avaient récoltés. Quelques-uns avaient des armes à feu, des sabres, etc., et beaucoup, de gros paquets de croix et de décorations ; tous paraissaient extrêmement joyeux et professaient une haine sans limite pour les Français.

Je m’étais figuré que nous étions à peu près seuls, ne voyant que les restes de la troupe d’artillerie à cheval du major Bull non loin de nous (les Prussiens étaient partis à l’aube) ; mais, en errant du côté de la route de Charleroi, je trébuchai contre un régiment entier d’infanterie britannique, en colonnes de divisions, profondément endormi, roulé dans ses couvertures avec le havresac comme oreiller. Pas un homme n’était éveillé. Ils étaient étendus en rangs réguliers, avec les officiers et les sergents à leurs places, absolument comme ils l’auraient été s’ils avaient été debout.


JOURNAL DE LA CAMPAGNE DE WATERLOO
Alexander Cavalié Mercer
Éditions du Grenadier
Bernard Giovanangeli Éditeur 2007

Merci à Diana







Recherche sur le site