Napoléon: les grands événements militaires: les erreurs espagnoles.




Napoléon lui-même reconnut que l’invasion de la Péninsule Ibérique fut une erreur, mais, tout compte fait ce fut une succession d’erreurs qui porteront vers une guerre longue, dramatique aux lourdes conséquences pour les deux pays.



Erreur politique.




Si en 1794 Bonaparte disait que l’on pouvait attaquer l’Allemagne mais jamais l’Espagne, 13 ans plus tard il oubliera cette affirmation et l’invasion de l’Espagne devenait nécessaire, facile et rentable à tous points de vue.
Nécessaire, bien sur, car c’était le seul chemin pour dominer le Portugal et s’assurer le contrôle des ports de Lisbonne et de Porto, décisif pour réussir le « blocus continental ». Parallèlement, l’autre objectif de Napoléon était de terminer avec la dynastie Bourbon en Espagne et par la même occasion de s’assurer un flanc sud contre un éventuel rapprochement de l’Espagne avec l’Angleterre, tenté par Godoy vers 1806, donc de mettre l’Espagne sous l’autorité directe de la France.
À Napoléon la réalisation de ses visées paraissait facile, surtout celle qui concernait le Portugal vu que les Portugais n’avaient pas de forces militaires capables de faire face à une Armée française de quelques milliers d’hommes et, de plus, l’aide espagnole au pays voisin était compromise depuis Fontainebleau. La manœuvre suivante, politique et éventuellement militaire, pour supplanter la dynastie des Bourbons, ne semblait, elle non plus, guère compliquée, mais surtout rentable, vu l’important terrain de guerre économique contre les Britanniques que la soumission de la Péninsule à l’autorité française priverait d’une importante parcelle de son activité commerciale, tout cela, sans oublier l’Amérique portugaise et surtout les territoires hispano-américains. Politiquement parlant, la rentabilité devait s'en trouver absolument extraordinaire, car l’occupation du Portugal offrirait toutes les possibilités imaginables pour établir un régime complètement intégré dans l’orbite de la France et, dans la Péninsule, l’implantation d’un Roi de la famille Bonaparte assurerait de façon définitive sa fidélité, sans écarter la possible mobilisation de recours militaires des deux nations ibériques au service des projets napoléoniens.
N’oublions pas qu’à l’origine de l’intervention napoléonienne en Espagne on trouve le vieux projet de 1805, celui d’y établir un régime ayant à la tête un prince de la famille Bonaparte, permettant de chasser la Famille de Bourbon du trône espagnol, ainsi que les Bragances du Portugal et réorganiser les recours humains, économiques et stratégiques d’une Espagne, territoires hibero-américains inclus, au service de la France. Cependant, l’Empereur ne maintiendra pas les clés de ce projet, il en abandonnera rapidement les deux éléments fondamentaux : le nouveau monarque – son frère Joseph – qu’il inhabilitera, peu à peu dans ses fonctions de Roi – et, l’Espagne - qu’il fragmenterait administrativement et territorialement quand il en verrait la nécessité. Erreur capitale car pour utiliser efficacement l’Espagne, la première chose à faire c’est de l’affirmer, de la maintenir et même d’en accroître sa puissance, mais jamais de la diviser.

Ref :
ESPAÑA, el INFIERNO
De NAPOLEÓN
De Emilio de DIEGO
La esfera de los libros
MADRID
Janvier 2008




Déjà à partir de 1807, commença une opération politique ayant pour but de profiter surtout des divisions au sein de la cour de Madrid et du déploiement militaire survenu entre octobre 1807 et le printemps de 1808, et qui aurait ainsi permis de contrôler, sans grands efforts, la situation qui régnait en Espagne. Malgré les circonstances, Napoléon ne pensait pas que l’intervention en terres espagnoles pourrait conduire nécessairement à la guerre ou à un conflit de grandes dimensions. Si malgré tout, on devait arriver à une confrontation armée, l’armée espagnole, en partie déplacée au Portugal et dont certaines de ses meilleures troupes (celles de la Romana) se trouvaient à des centaines de kilomètres sous la supervision française, ne seraient pas en condition de se convertir en dangereuse ennemie. De même, les restes des institutions des Bourbons paralysées après la crise de mars/avril 1808 - provoquée par la révolte de Aranjuez – et l’Église dont Napoléon croyait bien connaître le pouvoir, ne devraient pas devenir un obstacle sérieux. De plus, la noblesse divisée depuis la nuit des temps et le peuple arriéré et ignorant ne seraient pas capables de présenter de grands problèmes. Finalement, l’empereur était convaincu que son programme de réformes devrait apporter de tels avantages pour la majorité des Espagnols qu’il contribuerait, sans aucun doute, à gagner sa volonté et à diluer tout facteur d’opposition. L’évolution des évènements fit, cependant, s’écrouler toutes ces expectatives.
La désarticulation de l’appareil institutionnel de la monarchie de Charles IV ne produisit pas une paralysie complète de l’Espagne. En quelques semaines un nouveau panorama politique, illégal dans presque tous ses aspects et difficile à organiser, avait substitué l’antérieur. Inattendue, cette situation finalement servit à canaliser la résistance politique et militaire. Malgré les évènements de mai et juin 1808, Napoléon continua, jusqu’en été, de procéder comme si un conflit armé ne pouvait se produire en Espagne. Malgré ses prévisions, la guerre éclata. Une lutte aux mesures inimaginables et aux formes surprenantes eut lieu et à partir de là, une multitude d’erreurs devinrent évidentes car elles ne répondaient pas aux schémas prévus. Cette guerre ne s’ajustait en rien à la philosophie de guerre de Napoléon.

Ref :
ESPAÑA, el INFIERNO
De NAPOLEÓN
De Emilio de DIEGO
La esfera de los libros
MADRID
Janvier 2008




Les réformes apportées en cette période aux institutions de l’Espagne ne seront pas approuvées automatiquement par l’entourage de Napoléon.
Voici ce qu’en pense le Baron Marbot dans ses
MÉMOIRES
Tome 2

"Comme militaire, j'avais dû combattre des hommes qui attaquaient l'armée française; mais je ne pouvais m'empêcher de reconnaître, dans mon for intérieur, que notre cause était mauvaise, et que les Espagnols avaient raison de chercher à repousser des étrangers qui, après s'être présentés chez eux en amis, voulaient détrôner leur souverain et s'emparer du royaume par la force !
Cette guerre me paraissait donc impie, mais j'étais soldat et ne pouvais refuser de marcher sans être taxé de lâcheté!... La plus grande partie de l'armée pensait comme moi, et cependant obéissait de même !... »

…« Ainsi se trouva consommée la spoliation la plus inique dont l'histoire moderne fasse mention. De tout temps, la victoire a donné au vainqueur le droit de s'emparer des États du vaincu à la suite d'une guerre franche et loyale; mais disons-le sincèrement, la conduite de Napoléon dans cette scandaleuse affaire fut indigne d'un grand homme tel que lui. S'offrir comme médiateur entre le père et le fils pour les attirer dans un piège, les dépouiller ensuite l'un et l'autre... ce fut une atrocité, un acte odieux, que l'histoire a flétri et que la Providence ne tarda pas à punir, car ce fut la guerre d'Espagne qui prépara et amena la chute de Napoléon.

« L'acceptation du trône d'Espagne par Joseph lui a été reprochée souvent, et a été qualifiée de condescendance fatale aux volontés de Napoléon. On a prétendu que ce prince, connaissant déjà l'opposition dont il était l'objet de la part du peuple espagnol, n'aurait pas dû accepter de son frère une couronne arrachée au fils des anciens souverains.»

Note extraite des
MÉMOIRES DU ROI JOSEPH
Tome 4




L’erreur militaire.




Napoléon entreprit l’invasion de l’Espagne en créant de cette manière un nouveau front qui devait être maintenu avec des corps d’armée réunis de façon hâtive et dont les mouvements s’effectuèrent de façon désordonnée. Ces forces entrèrent en Espagne sans avoir complété ni leurs effectifs, ni leurs cadres, ni leur matériel, ni leurs équipements vestimentaires, souliers, armement et munitions. De telles carences, à part de donner une image peu en accord avec le prestige de l’armée française, obligeraient d’exercer très vite une écrasante pression sur la population qui produira les premiers incidents.

…« L'Empereur réunit donc à Bayonne, au mois de septembre 1807, une armée de vingt-cinq mille hommes, destinée à envahir le Portugal. Mais il commit alors deux fautes graves : la première, de former le corps expéditionnaire avec des régiments nouvellement organisés; la seconde, de donner au général Junot le commandement de cette armée.
Napoléon tomba dans plus d'une erreur sur le choix des personnes, parce qu'il écoutait plutôt ses affections que la voix publique. »…
…« L'Espagne, alors notre alliée, devait fournir à nos troupes sur leur passage le logement et les vivres. Le devoir d'un général en chef était de s'assurer de l'exécution de cette promesse; mais Junot, négligeant cette précaution, fit entrer son armée en Espagne le 17 octobre, et lança ses colonnes sur les routes, où rien n'était prêt pour les recevoir. Nos troupes couchèrent à la belle étoile et ne reçurent qu'une demi-ration de vivres. On était à la fin de l'automne; l'armée traversait les contreforts des Pyrénées dont le climat était très rude, et nos malheureux soldats couvrirent bientôt la route de malades et de traînards. Quel spectacle pour les populations espagnoles qui accouraient de toutes parts pour contempler les vainqueurs de Marengo, d'Austerlitz et de Friedland, et qui ne voyaient que de chétifs conscrits, pouvant à peine porter leurs sacs et leurs armes, et dont la réunion ressemblait plutôt à l'évacuation d'un hôpital qu'à une armée marchant à la conquête d'un royaume!... Ce triste spectacle donna aux Espagnols une fort mauvaise impression de nos troupes, et entraîna l'année suivante des effets désastreux.
Napoléon méprisa trop les nations de la Péninsule, et crut qu'il suffirait de montrer des troupes françaises pour obtenir d'elles tout ce qu'on voudrait. Ce fut une grande erreur !

MEMOIRES DU BARON DE MARBOT
Tome 2
Edition 1891




Pour pouvoir entreprendre cette marche vers la Péninsule, Napoléon dut laisser d’importantes zones sans protection et affaiblit, de façon dangereuse, la réserve de la Grande Armée, mettant en évidence la limite de ses recours humains. À partir de ce moment il ne sera plus en condition d’agir de façon offensive, avec la supériorité nécessaire, ni sur le front du centre Europe, ni dans la Péninsule, quand les deux fronts étaient ouverts simultanément, chose qui arrivera en différentes occasions. Il devra donc arriver à devoir déplacer des troupes d’un front à l’autre, se mettant immédiatement en infériorité dans certains d’entre eux ou carrément dans les deux, quand on pense, par exemple, qu’une armée avait besoin d’au moins deux mois et demi pour parcourir les 2.000 kilomètres qui séparaient Leipzig de Madrid. L’envoi de divisions pour venir renforcer certains points faibles en Espagne demanda, également, un gros effort et obligea Napoléon au recrutement de 160.000 nouveaux soldats dont plusieurs appartenaient à la conscription de 1810. Un des principes fondamentaux des concepts que Napoléon avait de la guerre pourrait se résumer ainsi :

« L’art de la guerre consiste en ce qu’une armée inférieure tienne toujours plus de forces que l’ennemi à l’endroit choisi pour l’attaque et, alternativement, sur le lieu où elle serait attaquée. »

En tout cas, l’invasion de l’Espagne et du Portugal bouleversa les fondements de la doctrine militaire de l’Empereur, le situant face à une grave contradiction. Les nouvelles circonstances l’obligèrent à renoncer à ses mouvements stratégiques foudroyants lui faisant perdre, ainsi, un des avantages jusqu’alors décisifs.
Une erreur de cette envergure ne peut se comprendre que du point de vue de Napoléon ayant l’idée qu’en Espagne un conflit ne sera pas précisément long et difficile à résoudre. Avec la première erreur, celle de créer un front de guerre en une situation inadéquate, sa plus grande maladresse fut de s’y tenir. Il aurait pu se retirer d’Espagne voyant l’envergure que prenait le conflit, par exemple en 1809, et dans le pire des cas se situer sur la défensive dans les Pyrénées. Bien sur cela aurait été une décision chère à tous les points de vue, spécialement en termes de politique et d’image, mais cela aurait pu se camoufler avec une forme d’accord avec l’Espagne et la restauration de Ferdinand VII. Cette possibilité aurait pu donner aux Espagnols le sentiment de ne plus être directement menacés et, par conséquent, de ne pas tolérer plus longtemps la présence anglaise sur leur territoire.
Une autre possibilité aurait été de se centrer complètement sur la guerre en Espagne en employant tous les moyens possibles pour terminer avec la lutte commencée, mais un accord avec la Russie aurait été nécessaire et aurait, de ce fait, obligé Napoléon de céder à quelques exigences du Csar. Napoléon n’eut même pas l’idée d’essayer une de ces solutions.

Ref: ESPAÑA EL
INFIERNO DE NAPOLEÓN
du prof. Emilio de DIEGO




La reddition de Bailén fut un échec qui, portant préjudice à l’image impériale, aurait pu également stimuler les nations soumises en Europe. Napoléon devait, donc, au plus vite, réparer les dégâts engendrés par cette défaite par une action décisive en Espagne. Fin octobre des troupes françaises se dirigèrent vers l’Espagne et le 3 novembre, l’empereur arriva à Bayonne où l’attendait son armée.

L’itinéraire militaire emprunté par Napoléon, pendant le mois de novembre 1808, fut jalonné de batailles qui firent ressortir, lors des défaites subies, l’infériorité de l’armée espagnole : Burgos, Gamonal, Espinosa, Tudela, Somosierra. Ensuite, le 4 décembre, la prise et la reddition de Madrid, le 20 le début du second siège de Saragosse, puis Benavente. Mais le 1er janvier 1809, recevant de préoccupantes nouvelles, Napoléon décida de rentrer à Paris.

En abandonnant l’Espagne, avec sa Garde et différentes divisions, pour ne plus y revenir, Napoléon, laissa à ses maréchaux, en particulier Soult, la tâche de terminer avec l’armée anglaise fuyant vers la Corogne. Ce fut un demi-échec pour Soult car Moore livrant à Elviña une bonne action défensive permit à 25.000 de ses hommes d’embarquer vers Lisbonne, mais il perdit la vie lors des combats.

Par la suite, la guerre d’Espagne se fera avec des troupes de seconde classe, normalement sous la direction nominale du Roi Joseph, cependant dans la pratique elle fut dirigée par différents maréchaux faisant fi aux ordres donnés par Joseph, pendant que dans leurs territoires respectifs, ils agissaient comme les rois de Taifas, jaloux l’un de l’autre au point de se nier mutuellement tout type d’aide.

Si l’on ajoute aux tentatives de Napoléon de diriger la guerre à partir du Centre Europe en envoyant des ordres se révélant obsolètes et même absurdes lorsqu’ils arrivaient à destination, le fait que des maréchaux s’enrichissent de nombreuses prédations, méprisaient le peuple espagnol, livraient une guerre relativement chevaleresque avec les Anglais, mais féroce avec les armées régulières et les croissantes troupes de la « guerrilla », il est facile de comprendre que tout cela finirait par se convertir en un conflit que les Français ne pouvaient gagner.

Ref : ESPAÑA EL INFIERNO DE NAPOLÉON
Du professeur E.DE DIEGO

NAPOLEÓN EN ESPAÑA de Fernando QUESADA
Paru dans la Revue :
AVENTURA DE LA HISTORIA nº 122




L'erreur économique.




Napoléon croyait que l’Espagne était un pays riche, ce qui était relativement faux. Les images de la richesse espagnole pouvaient se situer dans les possibilités du marché hispano-américain et des envois de l’argent qui arrivaient de l’autre côté de l’Atlantique. Cependant, l’empereur ne parvint pas, même de façon minime, à contrôler aucun des deux facteurs.

D’un côté, le niveau des rentes vers la fin du XVIIème siècle, mettait l’Espagne au-dessus de la majeure partie de l’Europe, bien que, postérieurement, les premières années du XIXème siècle virent apparaître une succession d´évènements catastrophiques. Il faut également considérer l’extraordinaire déséquilibre de la distribution de cette richesse, qui situait l’immense majorité de la population bien en dessous des niveaux de subsistance. Certaines maisons nobles, certains secteurs de l’Église et un certain nombre de membres de la naissante bourgeoisie détenaient une bonne partie de toutes les ressources ce qui laissait supposer que l’Espagne était un pays riche, appréciation à nuancer très fortement.

La structure de la propriété agraire, le retard technologique et la dureté du climat dans certaines régions du pays conduisirent à des niveaux très bas la productivité dans un secteur fondamental de l’économie espagnole. De plus, une pression de la fiscalité très élevée complétait à angoisser la majorité des Espagnols.
Il faut également souligner que n’importe quel contretemps qui eut fait chuter la production ou augmenter sensiblement la consommation, en conditions normales, amenait une situation d’étranglement. L’attention aux nécessités des contingents armés aussi nombreux que ceux envoyés par Napoléon aux sud de Pyrénées, même sans la guerre comme agent décisif de perturbation, menaçait d’épuiser les ressources de l’Espagne, ce qui finalement arriva, jusqu’à des extrêmes insupportables et dramatiques.

Ref: ESPAÑA el INFIERNO
de NAPOLEÓN
1808 - 1814
Una Historia de la Guerra de la Independencia
Emilio de DIEGO
la esfera de los libros
MADRID
Janvier 2008







© Diana.





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