Vers 6 heures du matin, les Laonnais qui passent sur le rempart du nord (rempart Saint-Rémy), aperçoivent sur la route de Marle, droite pendant quatre lieues, une masse d’hommes, insolite à cette heure. Elle se déplace lentement ; on distingue bientôt des soldats en débandade. L’éveil est donné faubourg de Vaux ; alerte à la Garde nationale. Ce sont des fantassins, des cavaliers démontés, désarmés, déchirés, boueux, sanglants, blessés, affamés, consternés. « Tout est perdu, disent-ils, l’armée a été détruite hier soir près de Bruxelles… »
Arrivé un peu avant eux avec des gendarmes, quelques voitures, un groupe de combattants, le général Radet commence à les rallier, par armes, corps d’armée, régiments. Voici un officier de dragons, couvert de boue. Il met pied à terre devant la maison de poste située au carrefour des routes de Reims et de Marle ; une porte cochère s’ouvre sur chacune d’elles et donne dans la cour, entourée de constructions à un étage : écuries, auberge, granges, etc. « L’Empereur me suit de près, dit l’officier au sieur Lecat, maître de poste ; il s’arrête ici ; préparez-vous à le recevoir. »
Quelques instants plus tard, une calèche en mauvais état s’arrête. Napoléon en descend et, comme la grille est fermée, il se dirige vers la maison
« Vos soldats se sauvent », lui dit un passant.
Très fatigué, tour à tour abattu et nerveux, il est accueilli par Radet ; un détachement de la Garde nationale rend les honneurs.
« Sire, dit le commandant, nos frères et nos enfants sont dans les places fortes, mais disposez de nous ; nous sommes prêts à mourir pour la patrie et pour vous… » Fort ému, Napoléon le remercie vivement et soulève son chapeau devant quelques personnes arrêtées dans la cour et criant « Vive l’Empereur ! »
« Cela déchirait le cœur », écrit un témoin.
Un "vive l'Empereur" qui déchire le coeur, c'est un "tout va bien" au milieu de la souffance.
