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par Frédéric Staps » 12 juil. 2015 16:38
Voici le début de la transcription de l'interrogatoire de Staps par Schulmeister cité par Edouard Gauchot :
L'an 1809, 13 octobre, nous, Charles Schulmeister, Commissaire Général de police à Vienne, en exécution des ordres de Sa Majesté l'Empereur et Roi, à nous transmis par monsieur le général Savaray, duc de Rovigo, aide de camp de Sa Majesté, nous sommes transportés, accompagnés de gendarmes de la Garde en la prison civile, dite Policey Haus de cette ville et y avons fait comparaître devant nous un individu y détenu par ordre supérieur, lequel nous avons interrogé ainsi qu'il suit :
Demande. - Quels sont vos noms et prénoms, votre âge, votre qualité, votre lieu de naissance, et celui de votre domicile ?
Réponse. - Je m'appelle Frédéric Staps, suis âgé de près de 18 ans, qui seront accomplis au 14 mars prochain, apprenti-marchand, né à Naumbourg, en sexe, domicilié en dernier lieu à Erfurt.
D. - Savez-vous pour quel motif vous avez été arrêté ?
R. - Oui, je présume que c'est parce que je m'étais rendu dans la journée d'hier à Schoenbrunn, dans le dessin de demander à l'Empereur Napoléon s'il est disposé à faire la paix ou non, et de l'assassiner avec un poignard en cas de réponse négative.
D. - Quel est le motif qui vous a engager à projeter un crime aussi atroce ?
R. - J'ai cru pouvoir, en exécutant ce projet, mettre fin à la guerre actuelle.
D. - Vous dites que vous avez voulu assassiner Sa Majesté l'Empereur Napoléon pour mettre fin à la présente guerre. N'avez-vous pas espéré obtenir le même résultat en assassinant l'Empereur François ?
R. - Si même j'avais assassiné l'Empereur François, les Français auraient resté en Allemagne et je ne m'aurais pas vu à même de savuver ou au moins de rendre des services essentiels, tant à l'Allemagne qu'à la Hollande, à l'Espagne et à l'Angleterre, même à la France, attendu que ce n'est qu'en assassinant l'Empereur Napoléon que la paix peut être rendue à l'Europe bouleversée par lui.
D. - Depuis quand avez-vous conçu un projet aussi criminel que celui que vous venez de déclarer ?
R. - J'ai conçu ce projet et j'ai résolu de l'exécuter dès l'époque de la bataille de Wagram.
D. - Qui est-ce qui vous a engagé à concevoir un projet aussi criminel ?
R. - Ayant lu dans les feuilles publiques, et notamment dans les journaux, soit dans ceux de Francfort, soit dans ceux de Berlin, que presque toute l'Allemagne occupée par les troupes françaises avait été dévastée et que ses habitants ont été dépouillés de leur fortune et rendus malheureux, j'ai cru devoir accomplir le projet que j'avais conçu au même moment, et ce qui m'a fortifié dans ce projet est, qu'à cette époque, plusieurs officiers et sous-officiers saxons ont passé par Erfurt pour recruter en Saxe, dont l'un m'a dit que l'armée saxonne, forte de 16 000 hommes, a telleement souffert à la bataille de Wagram qu'elle se trouve réduite à 4 000 combattants.
D. - Quel est le nom du sous-officier saxon qui vous a dit cette fausse nouvelle ?
R. - Je ne le connais pas; et j'ignore son nom.
D. - Est-ce que d'autres officiers saxons vous avaient déjà donné de telles fausses nouvelles ?
R. - Des officiers saxons m'avaient déjà dit que l'armée saxonne avait été obligée de passer la première le Danube, de faire les attaques, ayant été forcée par les Français d'aller au feu, et qu'en général, on avait employé tous les moyens pour la faire exterminer.
D. - A-t-on ajouté foi tant à Erfurt qu'en la Saxe en général à ce faux bruit et à ces allégations mensongères ?
R. - Oui, on y a ajouté foi, et on se réjouissaient même de ce que les Français avaient également perdu beaucoup de monde.
D. - Est-ce que, depuis la bataille de Wagram, vous avez toujours nourri ce projet dans votre coeur ?
R. - Non, dès le moment où j'ai appris que la paix doit se faire, j'ai renoncé à ce projet et suis même retourné chez son père, à Naumbourg, où j'ai resté huit jours.
D. - Quelle est la qualité de votre père, demeurant à Naumbourg ?
R. - Il est ministre du culte protestant en cette ville.
A lui observé que, suivant les principes de sa religion, le meurtre et l'assassinat ne sont pas permis et qu'il n'y a même pas d'absolution à espérer pour un crime de cette nature, il a répondu qu'il le sait bien, mais qu'il a préféré de sacrifier sa vie pour le bonheur de l'Europe et de l'humanité plutôt que de rester dans l'inaction dans un moment aussi précieux, étant d'ailleurs intimement convaincu que par cette action il fléchirait non seulement la colère de l'Être suprême contre un homme en assassinant un autre, mais que le Père éternel le récompenserait encore pour avoir délivré la terre d'un souverain qu'il regarde pour la cause principale de la guerre.
D. - N'avez-vous jamais communiqué à M. votre père le projet criminel que vous aviez conçu ?
R. - Non, je ne lui en ai jamais parlé, de peur qu'il ne m'empêchât de l'exécuter.
D. - Quelles sont les personnes auxquelles vous avez donné communication de ce projet ?
R. - Je n'en ai donné communication à personne, dans la persuasion que mes amis m'auraient empêché, pour éviter ma perte, et je ne l'ai pas dit à d'autres personnes, de peur d'être trahi par elles.
D. - Comme vous aviez renoncé à votre projet après la bataille de Wagram, d'où vient-il que vous l'avez conçu de nouveau ?
R. - J'ai conçu de nouveau ce projet parce que j'ai bien vu que les bruits de paix ne se réalisaient pas et que la guerre recommençait de nouveau, opinion que j'ai fondée sur la circonstance qu'on recrutait beaucoup en Allemagne, et qu'en Saxe même, on recrutait environ 20 000 hommes de troupes fraiches pour les envoyer en Autriche.
D. - A quelle époque êtes-vous parti d'Erfurt ?
R. - Je suis parti le 24 du mois passé pour me mettre à Vienne; les deux premiers jours, je voyageais suel dans une carriole attelée avec un cheval que j'avais louée à Erfurt; et après avoir vendu cet attelage à Lichfeld, j'ai continué ma route à cheval jusqu'à Bayreuth, où j'ai vendu mon cheval, en continuant ma route à pied jusqu'à Ambert, d'où je me suis rendu en fiacre à Ratisbonne, de là, j'ai continué ma route en bateau et suis arrivé à Vienne le 7 de ce mois, vers le soir.
D. - Où est-ce que vous êtes entré en logement lors de votre arrivée dans cette ville ?
R. - J'ai passé la première nuit dans une auberge dont je ne me rappelle plus l'enseigne, et le lendemain, un homme inconnu que j'ai rencontré en ville m'ayant dit que je pouvais trouver un logement dans la rue dite Im-Klend, n° 188, je m'y suis rendu et y ai pris un logement que j'ai continué à occuper jusqu'au jour de mon arrestation.
D. - Quelles sont les personnes que vous connaissez à Vienne ?
R. - Je n'y connais personne, et pendant mon séjour dans cette ville je n'ai rencontré que des particuliers inconnus.
D. - Quelles ont été vos occupations pendant votre séjour à Vienne ?
R. - J'ai employé mon temps à parcourir les cafés pour y lire les feuilles publiques et diverses pièces de théâtre, notamment la comédie intitulée Der fieden am Pruth.
A lui observé qu'en parcourant les cafés, et en y lisant les feuilles publiques, il a dû se convaincre qu'on s'occupait de la conclusion de la paix, il a répondu qu'il avait déjà à Erfurt même, entendu beaucoup parler de la paix, qu'il y avait même lu des gazettes où on donnait l'assurance de la paix prochaine, que le public croyait déjà avoir été signée à Vienne, mais ayant été trompé dans son attente, et que s'étant convaincu que ces nouvelles n'étaient pas fondées, il s'est décidé à exécuter le projet qu'il avait primitivement conçu d'assassiner l'Empereur et Roi, cela pour sauver tant de milliers d'hommes qui seraient nécessairement victimes d'une nouvelle guerre.
D. - Lorsque dans la journée d'hier, vous avez eu l'audace de vous approcher de la personne de S. M. à Schoenbrunn, quel avait été votre dessein et votre dernière résolution ?
R. - J'ai voulu m'approcher de l'Empereur Napoléon et m'étais proposé de lui demander : Aurons-nous la paix ou non ? Et au cas où il n'aurait pas daigné me répondre, ou s'il m'avait donné une réponse négative, j'étais décicé de lui enfoncer mon poignard dans le coeur.
D. - Comment avez-vous pu avoir un coeur assez féroce, jusqu'à vous permettre d'attenter à la vie d'un monarque aussi grand et qui fait l'admiration du monde entier ?
R. - Je m'étais décidé à commettre cette action et rien n'a pu m'en faire désister.
D. - N'avez-vous jamais senti des inquiétudes lorsque vous avez pensé au projet criminel que vous aviez conçu et n'avez-vous pas tremblé au moment où vous l'avez voulu exécuter ?
R. - Non, je n'ai pas eu la moindre inquiétude et j'aurais pu exécuter ce projet avec sang-froid.
A lui observé qu'il doit savoir quels tourments on fait subir aux malheureux qui osent porter atteinte à la vie d'un souverain, à quel châtiment et à quelles peines douloureuses ils sont soumis, a répondu qu'il le sait, mais tout cela ne l'effraie pas, attendu que plus les peines sont douloureuses, plus celui qui les endure souhaite et désire voir approcher la mort pour jouir enfin de la béatitude éternelle, et qu'il espérait être récompensé par l'Être éternel en assassinant l'Empereur Napoléon.
Je fais une petite pause dans la retranscription. A suivre...
Posté sur le forum Pour l'Histoire par Frédéric Staps le 20/05/2005 07:24