Les Juifs à l'époque de Napoléon
Posté : 09 mars 2019 11:32
et vlan ! encore une couche d'esprit critique assumé, du Henri Guillemin et Claude Ribbe de série BFrédéric Staps a écrit : Un autre point sur lequel Ben Weider attachait une grande importance était l'émancipation des juifs à laquelle Napoléon avait participé, notamment dans les Etats pontificaux avec l'ouverture du ghetto d'Ancône. Mais à côté de cela, il n'a pas dit un mot des "décrets infâmes" de 1808 qui discriminaient à nouveau les juifs de France.

Ben Weider avait bien raison d'attacher de l'importance à cet épisode du ghetto d'Ancône, Bonaparte permettant ainsi aux juifs de ces régions de la future Italie d'accéder à la liberté de culte et de circulation, à une époque où ceux-ci étaient discriminés partout en Europe... Mais de cela, vous n'en soufflez bien entendu aucun mot

Quant aux "décrets infâmes"... Je déplore que vous véhiculiez cette vieille antienne reprise depuis des lustres par les antinapoléoniens ! (mais c'est somme toute logique, puisque vous en faites partie)

D'abord, les fameux décrets de 1808 ne sont qu'au nombre de trois, et seul celui du 17 Mars 1808 a été qualifié "d'infâme" et encore ne s'appliquait-il qu'aux juifs de l'Est de la France !
on peut certes critiquer les mesures radicales prises par Napoléon à cette époque : limitation de l'usure pratiquée par les juifs (mais beaucoup d'habitants de l'Est de la France s'en plaignaient) obligation de prendre un nom définitif, non-remplacement possible lors de la conscription.... Autant de mesures qui dérogeaient au Droit commun et constituaient un retour en arrière, mais elles ne furent que provisoires, prenant effet pour dix ans, et leur but était de sceller l'intégration des juifs dans la Nation française.... Mais là encore, pas un mot de notre ami Staps, qui préfère regarder l'Histoire par le petit bout de la lorgnette, passée au crible d'un esprit critique décomplexé

Plutôt qu'aux polémistes, laissons le mot de la fin à un historien sérieux, tel Thierry Lentz :
Controversée, la législation napoléonienne d’assimilation des juifs fut pourtant un succès, sauf à la juger à la lumière des deux siècles qui ont suivi (législation de Vichy et génocide compris), ce qui n’est pas notre méthode. Dans cet épisode, l’empereur avait agi en homme d’État, dans le moment historique où il vivait. Sa méfiance à l’égard des juifs n’avait aucun fondement religieux : c’est l’ordre public qui l’intéressait. Mais plus que des mesures de police, il voulait fonder une solution durable. En comparaison de la situation antérieure, ses choix constituèrent une étape d’un chemin qui allait s’avérer long et difficile, dans une France toujours tentée par « l’antisémitisme ». En 1808 et après 1810, époque de l’assouplissement du décret « infâme », les juifs de l’Empire français étaient les seuls en Europe à bénéficier de la liberté de culte, d’un statut, de rabbins reconnus par l’État. Ils étaient « émancipés » avant d’être intégrés, expérience elle aussi unique en Europe, les intentions libérales de Frédéric-Guillaume III de Prusse et d’Alexandre Ier de Russie n’ayant guère été suivies d’effets concrets et généraux. La hiérarchie israélite en parut satisfaite à l’époque. Elle le montra tout au long du règne en encourageant ses coreligionnaires à soutenir l’Empire : « Par l’entremise de la Révolution française, écrit Pierre Birnbaum dans l’étude qu’il a consacrée aux prières prononcées dans les synagogues, les Juifs sont devenus des citoyens de la patrie».
Les contreparties demandées ou imposées s’inscrivaient dans la ligne de la politique impériale d’organiser les cultes afin de les contrôler et de protéger l’ordre public en les soumettant à l’État. « En dépit de l’hostilité de Napoléon pour les juifs en général et son décret infâme en particulier, on ne peut lui dénier que son organisation de la vie juive, qui impliquait de placer le judaïsme sur le même pied que le catholicisme, représenta une remarquable tentative de résoudre les problèmes des juifs dans le monde moderne », estime l’américain Simon Schwarzfuchs, ce que Jacques Godechot a résumé par : « Dans l’ensemble, Napoléon a contribué, plus qu’en aucun autre pays, à l’assimilation des juifs de France ». Même si ce fut au prix d’un abandon partiel et temporaire des principes d’égalité, de liberté des cultes et du commerce pour une partie de la population.
Thierry Lentz, Nouvelle histoire du Premier Empire, tome 3 : La France et l’Europe de Napoléon (1804-1814), Fayard, 2007, p. 252-259.