
Les deux anciens quartiers du génie et de l’artillerie réunis par un salon devinrent le palais impérial de Napoléon. Une allées d’acacias a été plantée par lui sur l’ancien rempart changé en jardin. Une citerne à pompe est aussi son ouvrage. On reconnaît dans la nouvelle et passagère habitation l’esprit et les habitudes d’ordre du maître, et tout le soin du matériel de la vie, sans sybarisme (sic) qui distinguait les résidences impériales, si habituellement réparées, dégagées et embellies sous son règne.
Une porte de derrière ménagée en cas d’invasion, montre les vicissitudes de cette fortune, si longtemps menaçante et réduite à craindre sous son propre toit. On remarque dans les appartements et particulièrement dans l’antichambre de la chambre à coucher, quelques gravures de la grande description de l’Egypte, souvenirs des temps de jeunesse, d’espérance et de gloire de l’hôte déchu. Dans le cabinet, le bureau d’acajou est resté à la même place ; il sert au gouverneur actuel de l’île, ancien officier de la Grande Armée, décoré de la Légion d’honneur qui ne se doutait guère lorsqu’il servait dans nos rangs, qu’un jour il dût signer des ordres sur le bureau de l’Empereur.
L’étroit asile de Napoléon ne fut pas toutefois sans dignité, sans grandeur : l’Empereur détruit était toujours contemplé avec une admiration curieuse ; d’illustres étrangers venaient le visiter, et pendant son règne de dix mois, les présentations anglaises seules s’élevèrent à près de mille. […]
À trois miles de Portoferraio, est Saint-Martin qui fut la villa de Napoléon. Portoferraio, la mer, les vaisseaux, les montagnes forment une très agréable vue. La maison petite, mais bien distribuée, n’a qu’un étage d’un côté, et deux de l’autre. La salle à manger est décorée à l’égyptienne ; sur la cheminée du salon, étaient restés les bustes en marbre de la princesse Elisa Bacciocchi et de son mari. La terrasse au-devant de la maison, a quelques orangers plantés par Napoléon ; il a réparé et presque créé une fontaine voisine d’excellente eau. Saint-Martin est aujourd’hui propriété de l’archiduchesse Marie-Louise, et son régisseur (fattore) y réside. Cette chétive villa est l’unique héritage laissé par le soldat puissant possesseur de tant de vastes et beaux domaines, et la fille des Césars est l’héritière du représentant de la plus vaste des révolutions populaires. Nulle part peut-être le prodige de l’élévation et de la chute de Napoléon n’est aussi frappant.
VALÉRY, op.cit
cet extrait se trouve à la page 398 du livre:
NAPOLÉON
Empereur de l'île d'Elbe
souvenirs & anecdotes de Pons de l'Hérault
présenté et annoté par Christophe Bourachot
Les Éditeurs Libres
novembre 2005