Chronologie: Paris, 1814.




Les craintes.



Histoire du Consulat et de l'Empire, Adolphe Thiers, volume XVII, livre LII


Les Parisiens voyaient l'ennemi arriver sur eux par trois route, celle d'Auxerre, celle de Troyes, celle de Châlons, et sur une des trois seulement, discernaient une force capable de les couvrir, celle que Napoléon commandait en personne, laquelle avait eu, disait-on, l'avantage dans le combat du 29 janvier, mais un désavantage marqué dans la bataille du 1er février. On parlait en outre de mouvements en Vendée, et ce pays naguère si tranquille, si reconnaissant envers Napoléon, paraissait prêt à s’agiter. Enfin, et à la stupéfaction générale, on annonçait que Murat, le propre beau-frère de l'Empereur, élevé par lui au trône, venait de trahir à la fois l'alliance, la patrie, la parenté, en se portant sur les derrières du prince Eugène. Ce concours de mauvaises nouvelles avait bouleversé toutes les têtes.
L'Impératrice épouvantée appelait sans cesse auprès d'elle tantôt Joseph, tantôt l'archichancelier, pour leur confier ses chagrins, et en voyant le péril s'approcher se mourait de peur pour son époux, pour son fils, pour elle-même.
On répandait dans Paris que la cour allait se retirer sur la Loire, et tous les jours une foule inquiète venait aux Tuileries, pour s'assurer si les voitures de promenade qui ordinairement transportaient l'Impératrice et le Roi de Rome au bois de Boulogne, n'étaient pas des voitures de voyages destinées à se diriger vers Tours.



Le départ de Marie-Louise (29 mars 1814)



Georges Blond, les Cent-Jours – p 21


A Paris même, l’exode va commencer. Le bruit du canon donnant à réfléchir, des habitants du faubourg Saint-Germain (une minorité) aiment mieux prendre le large. Le 28 mars, à minuit, la régente Marie-Louise annonce à son entourage son départ pour le lendemain. Le 29 à 10 h 32 (précision donnée par Stendhal, témoin), une dizaine de berlines vertes aux armes de l’Empire, escortées par un escadron de grenadiers et de chasseurs, quittent les Tuileries. Elles contiennent l’Impératrice, le roi de Rome, Madame Mère Letizia Bonaparte, la reine de Westphalie, Cambacérès, les ministres, les dames d’honneur, les pages du roi de Rome. Viennent ensuite les lourds carrosses dorés du sacre ; puis, protégés par des lanciers de la Garde, cinq ou six fourgons contenant les costumes du sacre, les bijoux de la couronne, la vaisselle de vermeil et autres objets précieux, bref, le Trésor, dont trente-deux petits barils d’or.



A.Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire - Tome XVII - Ed Plon, Paris, 1860. - p.584 - 585


On y avait chargé, outre le bagage de la famille impériale, les papiers les plus précieux de Napoléon, les restes de son trésor particulier qui s'élevaient à environ 18 millions, la plus grande partie en or, et enfin les diamants de la Couronne. Une foule inquiète et mécontente était accourue, car Marie-Louise paraissait à beaucoup d'esprits une garantie contre la barbarie des étrangers. On ne pillerait pas, se disait-on, on ne brûlerait pas, on n'écraserait pas sous les bombes, la ville qui renfermerait la fille et le petit-fils de l'empereur d'Autriche.
Le départ de Marie-Louise semblait une désertion, une sorte de trahison. Toutefois la foule restait inactive et muette. Quelques officiers de la garde nationale ayant réussi à pénétrer dans le palais, car dans le malheur l'étiquette tombe devant l'émotion publique, firent effort auprès de Marie-Louise pour l'empêcher de partir, en lui disant qu'ils étaient prêts à la défendre, elle et son fils jusqu'à la dernière extrémité. Elle répondit tout en larmes qu'elle était une femme, qu'elle n'avait aucune autorité, qu'elle devait obéir à l'Empereur, et les remercia beaucoup de leur dévouement sans pouvoir ni le refuser ni l'accepter. L'infortunée (elle était sincèrement attachée alors à la cause de son fils et de son époux), l'infortunée allait, venait dans ses appartements, attendant Joseph qui n'arrivait pas, ne sachant que dire, que résoudre, et pleurant. Enfin des messages réitérés de Clarke annonçant que la cavalerie légère de l'ennemi inondait déjà les environs de la capitale, elle partit vers midi, dévorée de chagrin, emmenant son fils qui trépignait de dépit, et demandait où on les menait.
Où on le menait, malheureux enfant! ... A Vienne, où il devait mourir, sans père, presque sans mère, sans patrie, réduit à ignorer son origine glorieuse ... malheureux enfant, né de la prodigieuse aventure qui avait uni un soldat à la fille des Césars, et dont la destinée, après nos revers, est ce qu'il y a de plus digne de pitié dans ces événements extraordinaires!

Le long cortège de cette cour consternée, triste exemple des vicissitudes humaines, fait pour effrayer tout ce qui est heureux, s'écoula vers Rambouillet, au milieu d'une foule mécontente, mais silencieuse, et prévoyant en ce moment l'avenir comme s'il lui eût été dévoilé tout entier. Douze cents soldats et la vieille garde escortaient la Cour fugitive.



La bataille de Paris (30 mars)



Georges Blond, les Cent-Jours – p 23


Les témoignages ne manquent pas sur la bataille de Paris. Ils sont parfois contradictoires comme toujours lorsqu’il s’agit d’événements ayant abouti à une capitulation. Restent les gros faits certains : 39000 hommes vont défendre la capitale contre 100 000 coalisés. Malgré cette infériorité numérique, malgré la diminution de tonus que vaut à nombre de combattants le fait de savoir que déjà des négociations s’engagent (un parlementaire de Blücher s’est présenté aux Clayes-sous-Bois aux avant-postes français, porteur de propositions de paix), les coalisés sont d’abord repoussés partout. En plusieurs points – à Pantin, à Romainville, sur la rive droite du canal de l’Ourcq – les Français ont même progressé. Mais dans la plaine autour de Paris les bataillons ennemis arrivent de plus en plus nombreux.

(…)

A 2 heures de l’après-midi, la Garde prussienne prend l’offensive à Pantin et les bataillons français se replient sur Belleville. Les élèves de l’Ecole Polytechnique tiennent la barrière du Trône avec vingt-huit canons. Canonnés par l’artillerie prussienne, chargés par la cavalerie russe et par les uhlans, ces Jeunes gens montrent un courage qui sera justement célébré. Sur le point de succomber, ils sont un instant dégagés par une charge de lanciers polonais – le corps le plus obstinément fidèle – mais la loi du nombre est inexorable.

Joseph Bonaparte, avant de quitter Paris, a envoyé à Marmont et à Mortier un billet les autorisant à entamer des pourparlers avec l’ennemi, « s’ils ne peuvent plus tenir ». A 3 h 30 de l’après-midi, Marmont juge que le moment est venu. Des parlementaires sont échangés.

La négociation dura, en partie parce que Mortier refusait de capituler. Son opposition ne fut pas inutile : les coalisés, craignant de voir arriver Napoléon, firent des concessions. Les deux corps d’armée français devaient évacuer la ville le 31 mars à 7 heures du matin avec armes et bagages. La Garde nationale au contraire serait conservée, désarmée ou licenciée au gré des Alliés. La ville de Paris était « recommandée à la générosité des hautes puissances alliées ».



Les Alliés entrent dans Paris (31 mars 1814)



Georges Blond, les Cent-Jours – p 24 25


A 11 heures, une rumeur s’éleva faubourg Saint-Martin : « Les voilà ! » En tête des troupes alliées venaient des trompettes, puis les Cosaques de la Garde, non pas les loqueteux des campagnes, mais en beaux uniformes rouges, lance au poing ; des hussards, des dragons. Puis les souverains : le Tsar, le roi de Prusse, Schwarzenberg qui représentait l’empereur d’Autriche, des centaines d’officiers d’état-major aussi chamarrés que ceux de Napoléon. Venaient ensuite de nombreux bataillons des corps d’élite russes, prussiens, autrichiens ; quarante-sept escadrons de cuirassiers russes fermaient le cortège.
A la hauteur des faubourgs Saint-Martin et Saint-Denis, dans l’assistance, rien que des visages graves, tristes, un silence plutôt hostile. Une foule plus dense bordait plus loin le boulevard. Les soldats alliés défilaient en bon ordre et ils avaient un air de santé, leurs chevaux étaient luisants. Une puissante odeur de crottin flottait. L’enthousiasme fut déclenché au niveau de la rue Poissonnière par deux ou trois cris de « Vive Alexandre, vive les Alliés ! » Le superbe souverain russe ralentit son cheval.

- Nous vous apportons la paix ! cria-t-il en français.

Il ajouta d’autres paroles que les acclamations couvrirent. Des gens se jetèrent vers son cheval, d’autres s’agenouillaient. Un délire se déchaîna lorsque les musiques russes se mirent à jouer des airs français. Les vainqueurs de Napoléon étaient plus acclamés que ne l’avait jamais été l’empereur des Français dans sa capitale. En fait, c’était la paix qu’on acclamait.



Adresse aux soldats (3 avril 1814)



Georges Blond, les Cent-Jours – p 27


Louis de Fontanes, écrivain, poète, essayiste, sous l’Empire député, membre de l’Institut, grand maître de l’Université (1808), sénateur (1810) tint à rédiger lui-même l’adresse destinée à l’armée :
« Soldats... Vous ne pouvez appartenir à celui qui a ravagé la capitale, qui l’a livrée sans défense, qui a voulu rendre votre nom odieux à toutes les nations, qui aurait peut-être compromis votre gloire si un homme qui n’est même pas français pouvait jamais affaiblir l’honneur de nos armes et la générosité de nos soldats. Vous n’êtes plus les soldats de Napoléon, le Sénat, la France entière vous dégagent de vos serments. »









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