Chronologie: mars 1814.




L'Empereur apprend la chute de Paris.




Histoire du Consulat et de l'Empire - A.Thiers - Ed Plon, Paris, 1860. - Tome XVII, p.622 - 624




Napoléon appela ses officiers à lui.
- Qui est là? demanda-t-il.
- Général Belliard, répondit le principal d'entre eux.

C'était en effet le général Belliard , qui en exécution de la capitulation de Paris, se rendait à Fontainebleau, afin d'y chercher un emplacement convenable pour les troupes des deux maréchaux. Napoléon se précipitant alors en bas de sa voiture, saisit par le bras le général Belliard, le conduit sur le bord de la route, et là, multipliant ses questions, il lui donne à peine le temps d'y répondre, tant elles sont pressées.

- Où est l'armée? Demande-t-il de suite.
- Sire, elle me suit.
- Où est l'ennemi?
- Aux portes de Paris.
- Et qui occupe Paris?
- Personne; il est évacué!
- Comment, évacué! ... et mon fils, ma femme, mon gouvernement, où sont-ils?
- Sur la Loire.
- Sur la Loire! ... Qui a pu prendre une résolution pareille?
- Mais Sire, on dit que c'est par vos ordres.
- Mes ordres ne portaient pas de telles choses... Mais Joseph, Clarke, Marmont, Mortier, que sont-ils devenus? Qu'ont-ils fait?
- Nous n'avons vu, Sire, ni Joseph ni Clarke, de toute la journée. Quant à Marmont et à Mortier, ils se sont conduits en braves gens. Les troupes ont été admirables. La garde nationale elle-même, partout où elle a été au feu, rivalisait avec les soldats. On a défendu héroïquement les hauteurs de Belleville, ainsi que leur revers vers la Villette. On a même défendu Montmartre, où il y avait à peine quelques pièces de canon, et l'ennemi, croyant qu'il y en avait davantage, a poussé une colonne le long du chemin de la Révolte pour tourner Montmartre, s'exposant ainsi à être précipité dans la Seine. Ah! Sire, si nous avions eu une réserve de dix mille hommes, si vous aviez été là, nous jetions les alliés dans la Seine, et nous sauvions Paris, et nous vengions l'honneur de nos armes! ...
- Sans doute si j'avais été là, mais je ne puis être partout! ... Et Clarke, et Joseph, où étaient-ils? Mes deux cents bouches à feu de Vincennes, qu'en a-t-on fait? Et mes braves Parisiens, pourquoi ne s'est-on pas servi d'eux?
- Nous ne savons rien, Sire. Nous étions seuls et nous avons fait de notre mieux. L'ennemi a perdu douze mille hommes au moins.
- Je devais m'y attendre! S'écrie alors Napoléon. Joseph a perdu l'Espagne, et il me perd la France... Et Clarke! J'aurais bien dû en croire ce pauvre Rovigo, qui me disait que Clarke était un lâche, un traître, et de plus un homme incapable. Mais c'est assez se plaindre, il faut réparer le mal, il en est temps encore. Caulaincourt! Ma voiture...

Ces mots dits, Napoléon se met à marcher dans la direction de Paris, en commandant à tout le monde de le suivre, comme s'il pouvait ainsi gagner du temps. Mais Belliard et ceux qui l'entourent s'efforcent de le dissuader.

- Il est trop tard, lui dit Belliard, pour vous rendre à Paris; l'armée a dû le quitter; l'ennemi y sera bientôt, s'il n'y est déjà.
- Mais, répond Napoléon, l'armée nous la mènerons en avant, l'ennemi, nous le jetterons hors de Paris; mes braves Parisiens entendront ma voix, ils se lèveront tous pour refouler les barbares hors de leurs murs.
- Ah! Sire, il est trop tard, répète Belliard, l'infanterie est là qui me suit; d'ailleurs nous avons signé une capitulation qui ne nous permet pas de rentrer.
- Une capitulation! Et qui donc a été assez lâche pour en signer une?
- De braves gens, Sire, qui ne pouvaient faire autrement.

Au milieu de ce colloque, Napoléon marche toujours, ne voulant rien écouter, demandant sa voiture que Caulaincourt n'amène point, lorsqu'on aperçoit un officier d'infanterie. C'est Curial. Napoléon l'appelle, et apprend alors que l'infanterie est là, c'est-à-dire à trois ou quatre lieues de Paris, et qu'il n'est plus temps d'y rentrer. Vaincu par les faits, par les explications qu'on lui donne, il s'arrête aux deux fontaines qui s'élèvent sur la route de Juvisy, s'assied au bord, et demeure quelque temps la tête dans les mains, plongé dans de profondes réflexions.









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