Les acteurs: Millington.


Par Albertuk


Qui était Millington?


Etait-il, comme l'écrit Ali, présent lors de l'exhumation de Napoléon, en 1840?




A mon humble avis, Millington aurait bien pu faire partie du 20ème régiment, ou comme artisan à son service. Il aurait alors suivi ce régiment lorsqu'il quitta Ste Hélène en 1822 pour se rendre en Inde. Il se serait alors établi plus tard dans la région car le 20ème repartit pour l'Angleterre en début 1837 (hormis ceux déjà partis en retraite militaire). A partir de juin 1840 ce régiment se trouvait en Ireland, mais la plupart des personnes ayant été à Ste Hélène en 1821 étaient en retraite.

Vu que l'article de Millington se situe en 1837 en Inde, il est vraisemblable que cet homme se trouva alors à la retraite et s'établit sur place. Mais s'il retourna en Angleterre, donc comme civil, en 1840 pour être à Ste Hélène par le plus grand des hasards à l'époque de l'exhumation (rappelons que les bateaux faisant ce chemin de retour Indes vers Angleterre le faisaient surtout entre décembre et mai) aucun témoignage ni français ni anglais ne confirme sa présence. Par exemple Chabot donne la liste des personnes présentes, très exactement, en incluant Darling mais pas de Millington.


Millington n'était pas plombier. Ali se trompe et c'est normal car il ne connaissait pas Millington. Le seul plombier connu de Longwood était un certain Bowman, mais il n'avait pu être dispo en mai 1821 sinon il se serait occupé des cercueils. Il n'y avait que deux plombiers de métier dans toute l'île.


Ali, p178, dit Millington présent en 1840:
"Le cercueil en plomb est également intact. Le plombier est appelé pour l'ouvrir. C'est le même qui l'a soudé en 1821."


Ali se trompe. D'abord Millington n'était pas plombier (une armée a t'elle jamais eu besoin de plombiers de métier?!?). Ensuite je pense que Ali faisait ici allusion à Darling, que les personnes de Longwood connaissaient bien et donc que Ali aurait reconnu en 1840. Mais Darling n'étant pas plombier, mais en charge des magasins, Ali se trompe doublement. Enfin aucun témoin (surtout les Anglais) ne donne Millington comme témoin de 1840: mais ils donnent tous Darling. C'est Darling qui avait été chargé des préparatifs relatifs aux cercueils et avait demandé à des gens du 20ème (Millington et Ley) de confectionner les cercueils en métal pour les soudures, compte tenu que, évidemment, le plombier Bowman n'était pas disponible alors (sans doute malade) car, autrement, il aurait été chargé de ce travail.
De toute façon, en 1840, celui qui se chargea de découper le cercueil et ressouder celui en plomb par la suite fut le plombier Leroux qui fit partie de l'expédition de 1840 et fut présent à l'exhumation pour ce besoin.


Andrew Darling, ayant été celui qui avait demandé à Millington et à Ley de faire le cerceuil de fer-blanc fut le seul à les mentionner dans son témoignage. Ce témoignage écrit en 1821 fut retrouvé tardivement et ne fut publié qu'en 1915.



Millington et le lit.



Voici un rapport de l'officier d'ordonnance qui explique ce que le sergent Millington (encore notre célèbre armurier!) est venu faire au lit de Napoléon le 1er mars 1821:

Le comte Montholon m’a demandé hier de permettre au sergent Millington de réduire la hauteur des pieds du lit en laiton de général Bonaparte de 11 pouces en disant que, comme le général était si faible dans l'état présent, il le trouvait trop élevé. Ceci a été fait.

Le véritable lit de mort de Napoléon serait donc raccourci d'environ 28 cm, alors que les autres lits de camp exposés dans les musées ont, eux, des pieds d'une cinquantaine de cm.




Pourquoi existe-t-il différentes versions de son témoignage?



Pour ma part, j'aurais tendance à croire les hypothèses suivantes:

- Millington aurait rédigé une note de son service à Longwood; peut-être que Darling le lui avait suggéré compte tenu de la manie d'Hudson Lowe de réclamer des rapports de toute personne approchant Longwood... Mais, avec le décès de Napoléon, la pression gouvernementale retomba et le rapport Millington ne fut point utilisé; son auteur le garda donc avec ses papiers "au cas où" on le lui réclamerait un jour

- Avec le temps et l'apparition de tas d'articles et livres sur Napoléon dans les années 1820, Millington aurait vanté qu'il avait lui-même soudé Napoléon dans son cercueil, et exhiba son rapport à un éditeur: ce rapport circula d'une publication à une autre (comme on a pu le constater avec 2 publications autour de 1838-1840 déjà); or le rapport originel de Millington ne parlait que de trois cercueils... évidemment car le quatrième, en acajou, ne parvint que le lendemain, bien après que Millington ait quitté Longwood et certainement sans qu'il en ait eu connaissance (même le PV officiel français datant du jour de la prestation Millington parlait de trois cercueils, ainsi que le rapport Darroch comme on le sait)


Les journaux de l'époque, même le Times, n'étaient pas toujours précis car ils écrivaient en citant des sources sans toujours trop de détails. Par exemple le Times rapportaient tout le temps des "nouvelles" de Paris ou de Vienne ou d'ailleurs, sans citer d'où elles venaient. Ou publiait des lettres de "correspondants" sans donner le nom de ceux-ci... Il faut quelquefois recouper les infos pour se faire une opinion (et ce n'est qu'une opinion!) si un récit est authentique ou non. Dans le Times, autour de la mort de "Buonaparte", il y a eu des récits plus ou moins farfelus sur ce qui s'était passé à cause de lettres reçues de gens sur place (sans mentionner qui), jusqu'à ce que les nouvelles devinrent officielles.

Bref, pour Millington, ça peut être la même chose ou presque. Peut être que quelqu'un a cité une fois le nom d'un canard de Ceylan de façon incomplète ou erronée et ça fait boule de neige. Ceci ne veut pas forcément dire que le récit n'est pas authentique. Ou lorsque Chaplin cite la Military Gazette, ceci aurait pu être la Naval and Military Gazette. Et cette dernière remonterait probablement sa source au journal de Ceylon, car Millington se trouvait dans ces parages en 1837-1838 selon toutes vraisemblances (vu que le régiment du 20ème y était encore jusqu'à cette époque, de memoire).



Il a aussi été question d'un manuscrit de Millington, qui aurait été rédigé en 1831

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En voici le texte:


"On Sunday the sixth of may 1821 I was sent for while attending divine service to make a tin coffin for general Bonaparte on monday the seventh I was ordered to attend at longwood house for the pirpose of soldering of the body of general Bonaparte in the tin coffin at which was performed in the following manner in the presence of generals Bertrand and Montholon Madam Bertrand the french chaplain the french surgeon Mr A. Darling Dr Rushop h.m 20th regiment of foot several of the french domestics and S Lee private in the 20 regiment the body of the late general napoleon Bonaparte in full dress was deposited in a tin coffin lined with white silk and cotton his socked hat was laid across his thighs and on his left breast of his coat was a gold star and cross and several other medals of the same metal several pieces of Slain of various sizes and different value were also put into the coffin his heart was deposited in a silver urn filled with spirits to which I soldered a lid or cover of the same material which was placed between the small parts of of his legs his stomach was deposited in a silver mug in which there was spirits which was also put into the coffin a silver plate knife fork and spoon and a silver cup were also deposited in this coffin Subsequent to placing the body of the general in the coffin the tin lid of the coffin being lined with silk and stuffed with cotton was put in its place and I soldered it in the coffin enclosing the late general Napoleon Bonaparte and all the above mentioned articles this tin coffin with its contents was then enclosed in a mahogany coffin and they were enclosed in a lead coffin which made in all three coffins.

Abraham Milington
Sergeant St Helena Artillery

Great fire in Boston Jan 28 1831"



De passage à New-York, j'en ai profité pour faire un saut à la Public Library sur la 5ème Avenue. J'y ai trouvé TROIS articles du témoignage Millington dans trois journaux de 3 villes des USA:

- THE DEAD NAPOLEON.:Sergeant Millington's Memorandum.
ABRAHAM MILLINGTON. Christian Register and Boston Observer (1835-1843). Boston:May 12, 1838. Vol. 17, Iss. 19, p. 75 (1 pp.)

- THE DEAD NAPOLEON.
Army and Navy Chronicle (1835-1842). Washington:May 17, 1838. Vol. 6, Iss. 20, p. 319 (2 pp.)

- THE DEAD NAOPOLEON.
ABRAHAM MILLINGTON. The Baltimore Monument. A Weekly Journal, Devoted to Polite Literature, Science, and the Fine Arts (1836-1838). Baltimore:May 19, 1838. Vol. 2, Iss. 33, p. 264 (1 pp.)

Ces trois articles sont identiques, parlent de trois cercueils, datent tous les trois de mai 1838, et indiquent qu'ils reproduisent l'article du Ceylon, qui est aussi à l'origine de l'article de la Naval and Military Gazette de 1838 et de celui du Worcestershire Chronicle de juin 1840.

Pas de trace d'un article à Boston en 1831. Mais les textes américains de 1838 reproduisent le même texte cité pour Boston. Je suppose seulement qu'il s'agit d'un article de 1838 et non de 1831. Même texte et même source.




Pourquoi ce rapport fait-il couler de l'encre?


Les différences du nombre de cercueils, entre les versions de publication:



- Après publication, Millington se serait fait sans doute raconter qu'il y avait en fait un quatrième cercueil et aurait modifié lui-même son rapport aux canards ultérieurs, ou alors les publications ultérieures se seraient rendues compte de cette coquille et auraient modifié l'article Millington elle-mêmes; donc avant l'expédition des Cendres, on trouve donc des articles Millington à quatre cercueils; pour moi, le débat du nombre des cercueils est une chose close depuis longtemps: la confusion serait née de l'arrivée tardive du 4ème cercueil, et la confusion régna déjà en 1821 (PV français, Darroch, rappport Lowe, etc); mais l'erreur fut rectifiée bien avant 1840 et c'est ce qui compte pour démontrer, dans le fonds, qu'il n'y a point eu falsification des faits (nombre des cercueils) par les témoins de l'expédition des Cendres; ceux-ci ont parlé de 4 cercueils car il y en avait bien 4

- Concernant la question de texte anglais peu clair entre subsequent to placing et previously to placing, là je dois croire que le sieur Millington n'était pas un artiste de la plume et son rapport de 1821 n'était pas un modèle du genre; simplement le bonhomme voulait dire que, avant de placer Napoléon dans son cercueil (sous-entendu final, donc celui en bois acajou), il avait procédé à la soudure du couvercle du cercueil de fer blanc. Ce détail est pour préciser que la soudure avait été faite avant que l'on ne dépose la caisse de fer-blanc renfermant Napoléon dans le cercueil final en bois exotique. Cette façon d'expliquer, quoique confuse pour nous qui voyons tant de cercueils, était limpide dans l'esprit de Millington car il voyait trois éléments lors de sa visite à Longwood: la caisse de fer-blanc faite pour préserver la dépouille de Napoléon et tous ses souvenirs mis dans cette caisse, le seul cercueil ornemental en bois d'acajou (disons donc "le" cercueil, comme en parle Millington), et enfin la caisse de plomb comme protection enveloppant celui-ci. C'est tout. Loin de Millington de savoir qu'une 4ème caisse allait arriver le lendemain.

- Qui a modifié le témoignage Millington? peut-être lui-même... après s'être rendu compte que des lecteurs n'avaient pas bien compris ses explications et que des rapports ultérieurs ont mentionné un 4ème cercueil dont Millington n'avait pas été au courant; ou, plus simplement, des éditeurs auraient modifié ce texte pour le rendre plus compréhensible aux lecteurs

Tout ceci ne change guère le fait qu'il y avait bien eu 4 cercueils en 1821 et que la confusion vint de l'arrivée tardive du 4ème cercueil. Rappelons que l'on avait douté pouvoir procurer un tel cercueil et que, contre toute attente, on trouva finalement que la table en acajou d'un officier anglais pourrait faire l'affaire.




La position des vases:



Au sujet de la position des deux vases (contenant le coeur et l'estomac) je crois que le seul témoignage d'avant 1840 était celui d'Antommarchi qui avait écrit que ces vases se trouvaient aux coins du cercueil, je crois. On sait que le livre d'Antommarchi contient des tas de sornettes... alors pourquoi pas des détails erronnés? Le docteur-plagiat n'était pas à ceci près! Il est difficile de tout faire reposer sur son seul témoignage. Ses mensonges sont légions à commencer par sa soi-disant relation privilégiée qu'il avait avec Napoléon... On sait tous ici ce qu'il en était!

Mais, le témoignage Millington est formel. On peut sans doute tergiverser sans arrêt sur la position exacte des vases mais, pour certain, ils n'étaient pas aux coins du cercueil mais quelque part entre les jambes, cuisses, ou pieds. Et c'est ce que les témoins retrouvent en 1840.


Merci à Albertuk



Voyez également les différentes versions de publication du récit de Millington dans les documents.



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